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Interview avec Soumaya Guessous, sociologue marocaine sur les droits de femme

Pendant que d’autres pays arabes se révoltent, le Maroc connaît des changements silencieux. La nouvelle constitution est, en ce qui concerne ses clauses sur les droits de l’homme et les libertés des citoyens, peut être qualifiée d’avant-gardiste dans le Nord de l’Afrique, sur papier, elle est même plus avancée que la constitution de quelques pays européens quelques pays européens. Dans un café de Marrakesh nous avons discuté avec la sociologue notoire, Naama Soumaya Guessous sur les libertés réelles que cette constitution prévoit.

 Ágnes Rajacic

 – Peut-on aujourd’hui affirmer qu’il existe bien une liberté d’expression au Maroc ?

Personne ne peut nier qu’on est dans une aire de la liberté d’expression. J’ai vécu enfant les années ‘60. Là, c’était un autre milieu. Mon père était un des principaux membres de la résistance armée, un opposant à Hassan II. A l’époque, la répression était très importante puisque le roi l’avait renforcée suite aux attentats. Aujourd’hui, on est capable de s’exprimer,  on a le droit de dire et d’écrire ce qu’on pense. Cependant, toute liberté suppose une éthique.

  • Rachid Nini est quand même dans la prison pour avoir exprimé son opinion sur les attentats du café Argana, notamment, il a dit que l’Etat pouvait y être impliqué.

Beaucoup de journalistes sont emportés par leurs émotions et présentent celles-ci comme des vérités absolues. Les personnes publiques doivent faire très attention à ce qu’ils disent et écrivent, de manière à ne pas induire une erreur. Il est très important de faire la différence entre «je pense», «il me semble», et «c’est la vérité absolu». C’est ce que j’appelle la déontologie. Il me semble qu’il y a une volonté de se démarquer et de se vendre par le scandale. Il y a aussi une grande attente des lecteurs marocains, de lire toute les nouvelles non-officielles. Est-ce que Nini est de bonne foi ou sa rage contre l’appareil de l’état le pousse à outrepasser la déontologie? Les deux sont possibles, mais affirmer que l’attentat de l’Argana a été commandité par l’Etat suppose un manque de responsabilité envers les lecteurs.

  • L’Etat ne pouvait-il donc pas être impliqué en aucune manière ?

Absolument pas. Si on a un minimum de bon sens, on sait que c’est impossible, étant donné la situation économique actuelle. La France est le premier pays partenaire du Maroc en matière de  politique étrangère. Il est absolument impossible d’organiser un attentat envers les étrangers à Jamaal Afnaa. Nous étions fixé comme objective une présence de 10 millions de touristes, et nous avons presque atteint ce chiffre. L’implication de l’Etat équivaudrait à attiser des perturbations politiques et sociales.  Or ce n’est pas le moment de faire une révolution au Maroc.

  • La révolution dans la région a effectivement épargné le Maroc. Pourquoi n’avez-vous pas fait la révolution ?

Le Maroc n’est pas l’Égypte ni la Tunisie. Nous ne sommes pas dans une situation de désespoir qui nous pousse à revendiquer de façon aussi violente. Tout le monde sait que la Tunisie était en train de traverser ce que nous vivions dans années 70. Le pays est devenu un Etat policier avec une répression  importante. En Égypte la situation politique, sociale économique est dramatique. Ces amis nous disent : «Attention, ne faites pas comme nous! Nous avons été trop vite, il nous faut deux décennies pour reconstruire notre pays. »  Par contre, au Maroc beaucoup de réformes ont été menées. La réforme de la Constitution a été une urgence: c’est à partir de ’96 que nous demandons cette réforme. Il ne faut pas oublier que ces jeunes ne seraient jamais allés dans la rue s’il n’y avait pas tout le travail fait par les Marocains, par les partis politiques et militants de droits e l’homme, à partir des années 60. Le 20 février n’était que la goutte qui a fait déborder la vase.

Il faut reconnaître que nous vivons dans une situation meilleure que les autre pays arabes.

La monarchie, qui a assuré la stabilité politique, n’est pas remise en question.

Mais la majorité écrasant de la population pense que la laïcité est le rejet de la religion et c’est ce discours qui est véhiculé par les tendances islamistes. J’aurais souhaité qu’on avance beaucoup plus dans la laicité…

  •   En Egypte, à part les morts, le mouvement réformateur avait des contre-tendances, différents éléments, de l’Etat se sont introduits dans la foule. Est-ce que le mouvement au Maroc a été « propre » de ce point de vue ?

C’est sur qu’il y a une répression symbolique, et une personne est morte au Safi, apparemment tabasée par les policiers. Il y a vingt ans, c’était à coup de matraques, mais là la police n’était pas armée. Si on mène les révoltes dans un but constructif, alors, il va falloir que le citoyen demande ses droits en respectant ses devoirs. Le citoyen qui sort sur la rue  pour revendiquer ses droits doit veiller aux biens publics et biens privés. Je n’ai pas droit de sortir sur la rue pour demander du travail et de piller une épicerie.

  • Quand même, dans la foule de cet été il y avait surtout des jeunes demandant de travail…

En effet, les Marocains ont été habitués à l’assistanat de l’Etat, or le système de gouvernance, économique a changé. L’Etat Providence est en train de disparaître. Pourtant beaucoup de jeunes diplômés, capables de travailler viennent faire du sitting devant les institutions pour demander à être embauchés comme fonctionnaires. Au XXIe siècle, on ne peut plus fonctionner comme ça avec la jeunesse. Il y a énormément de programmes pour eux : si un jeune amène un projet, on l’encadre, et dans deux jours il peut commencer à y travailler. Les citoyens doivent être autonomes.

  • Mais est-ce que le rendement de l’administration a changé? On dit qu’un tiers des parlementaires est impliqué dans la corruption.

Le budget des fonctionnaires est très lourd par rapport au rendement et la corruption est encore très répandue. Le système administratif a été conçu pour obliger le citoyen participer à la corruption. Mais déjà, le roi parle de la corruption. On a levé l’immunité parlementaire, une instance pour la lutte contre la corruption a été créée. Maintenant, il va falloir que la justice soit juste. On doit pouvoir pénaliser, sanctionner, criminaliser ceux qui pratiquent la corruption. Par exemple, la procédure pour l’obtention de la carte d’identité a été facilitée: il fait état de certificat de résidence et d’extrait de date de naissance. Avant on devait payer pour tout cela, séparément.

  • Vous avez lutté, à partir des années ‘70 pour le droit des femmes et des minorités. Quelle sont les réformes que vous considérez importantes dans la nouvelle constitution ?

La constitutionnalisation de l’histoire du Maroc, du judaïsme, de l’amazighité est très importante. Depuis que les arabes sont arrivés, ils ont écrasé les autres. Les berbères ont été frappés juste pour avoir parlé (parler) leur langue maternelle, le judaïsme a toujours été un tabou au Maroc. En ce qui concerne la condition féminine, le mot parité devient un mot constitutionnalisé….

  • Oui, mais qu’est ce que la constitution donne pour l’égalité des femmes dans la pratique?

Elle recommande la parité et demande à toutes les parties concernées d’en tenir compte dans leur planification. Pour recruter dans un ministère, on doit désormais tenir compte de la parité. Même en France ou aux Etats-Unis il n’y a pas de parité, mais au Maroc le cadre juridique va permettre que si une personne se présente et qu’elle souffre de discrimination, elle a une constitution grâce à laquelle elle peut se défendre.

  • La difficulté de se marier pose problème dans la plupart des pays arabes, et est synonyme de frustration. Le Maroc semble être un pays plus libéral à cet égard. Les révolutions arabes apporteront-elles une solution à ce problème social ?

Si cette révolution se dirige vers la démocratie, c’est sûr qu’il va influencer la relation homme-femme. Une femme ne subira plus de discriminations, elle va avoir la liberté de circuler dans l’espace public, elle peut revendiquer ses droits. Si elle est harcelée dans la rue, le harcèlement sera puni, si elle est violée elle obtiendra gain de cause. Le viol existe au Maroc aussi, mais ce n’est pas un phénomène sociale.

  • Si les jeunes femmes peuvent davantage s’exprimer, cela veut-il dire qu’elles devront moins recourir à des pratiques humiliantes, comme l’opération de l’hymen ?

La majorité écrasante des hommes marocains veulent toujours avoir une fille vierge au mariage, parce que c’est une histoire d’honneur. Il y a un débat que j’ai initié avec mon livre « Au delà de toute pudeur » où j’ai posé la question de savoir si réellement l’honneur de la famille se place entre les cuisses de leur fille. Mais parfois, même si les jeunes disent que « je veux que ma femme soit vierge», ils finissent par dire qu’on sait maintenant qu’on peut se recoudre. Et les filles sont de plus en plus nombreuses à dire « C’est mon corps j’en fais ce que je veux, et si un homme n’a pas envie de m’épouser pour faute de virginité, ce n’est qu’un imbécile ». Les femmes imposent leur sexualité et draguent les hommes, qui sont, à leur tour complètement perturbés dans leur virilité. C’est une transition qui va dans le sens de la libéralisation du corps féminin.